Focus sur la Catalogne : à nos boussoles nord/suds !
Article de la Commission Nord/Suds suite à une rencontre avec Antoine Puig-Caixas, militant pour la solidarité avec le peuple catalan
Extrait du journal OLF n°102
Le mouvement pour l’indépendance de la Catalogne n’est pas récent puisqu’il puise ses origines dans la lutte contre le centralisme des Bourbons du 18ème siècle jusqu’à la II république de 1931. Il se redéveloppe au moment de l’Espagne franquiste, avec une société civile catalane en lutte contre l’idéologie franquiste et son organisation dictatoriale. Après la mort de Franco en 1975 et avec la Constitution espagnole en 1978, l’appareil d’État franquiste se maintient toujours dans les institutions étatiques, en particulier la justice, la police et l’armée.
De 1978 à 2010, la société civile catalane lutte année après année pour augmenter l’autonomie de la Catalogne (mais non pas pour son indépendance). Mais dès lors que la Catalogne obtient par référendum son nouveau statut d’autonomie en 2006, les déceptions se font vite sentir. Ce nouveau statut est jugé anticonstitutionnel par l’État central, tout comme les lois de progrès social votées par la suite par le Parlement catalan. A partir de 2011, même si l’option fédéraliste et la liaison de la question sociale et nationale sont débattues, c’est la rupture avec l’État central et la création d’une république catalane qui emporte l’approbation générale, les listes indépendantistes devenant majoritaires dans les institutions catalanes lors de chaque élection. De 2012 à 2017, la mobilisation civile qui s’organise pour le droit à décider de son futur et pour la tenue d’un référendum est massive, durable, transversale et non-violente. La lutte catalane se traduit par une désobéissance civile et institutionnelle (qui passe aussi par des institutions catalanes) et par un processus constituant qui se met en œuvre avec des assemblées locales.
Les réponses de l’État central espagnol à ce mouvement sont judiciaires et répressives. Le tribunal suprême espagnol juge encore anticonstitutionnel le référendum d’autodétermination organisé par le mouvement civil et le gouvernement catalan. Ce référendum a lieu le 1er octobre 2017 malgré la répression policière féroce et grâce aux 2,3 millions de votant-e-s, avec le résultat de 90% de « oui » pour une République catalane. L’État central met alors sous tutelle les institutions catalanes et condamne les parlementaires catalan-e-s à la prison ou à l’exil. Début 2019, un procès à Madrid condamne à 100 années cumulées de prison les 10 prisonniers politiques jugés pour « sédition ». Cette sentence entraîne des manifestations avec affrontements en Catalogne. Les exilé-e-s ne sont pas extradés par la justice des pays concernés. Le mouvement rentre alors dans une nouvelle phase.
Pour Antoine Puig-Caixas, le mouvement pour l’indépendance catalane est un mouvement populaire massif, transversal et démocratique, qui s’inscrit dans le cadre d’un conflit entre une nation dominée (la Catalogne) et une nation dominante (l’Espagne). Ce conflit est amplifié par la politique d’austérité, centraliste, répressive que l’État espagnol impose aux autonomies suite à la crise financière de 2008. Le mouvement catalan porte un projet politique social, féministe, écologique et solidaire avec les migrant-e-s. Est catalan-e celui/celle qui y habite. Pour ce mouvement politisé, organisé et fortement mobilisé dans la rue (manifestations massives avec souvent plus d’un million de personnes), l’autodétermination n’est pas une fin en soi, mais un moyen de rompre avec l’État central, autoritaire et répressif et de rompre avec une monarchie franquiste.
L’histoire du mouvement catalan et son actualité nourrit la réflexion sur les formes des luttes pour l’émancipation en général. Comment combattre efficacement les politiques capitalistes, sexistes, racistes et désastreuses pour l’environnement ? Les États-nations qui les mettent en œuvre et les multinationales qui en tirent profit constituent autant de cadres opprimant dont il semble plus que jamais nécessaire de se débarrasser dans une perspective universaliste de lutte pour l’égalité. Lutter hors cadre, dans le cadre ou se construire ses propres cadres, telles sont les questions qui se posent encore aujourd’hui à nous.