Le 9è collectif, un collectif au féminin
[extrait de la brochure de mars 2011] Wahiba et Nezha, militantes du 9e Collectif, racontent leurs expériences de vie et les problèmes quotidiens des femmes étrangères et sans papiers.
Le 9e Collectif est un collectif assez particulier, tant par la forme de ses actions que par sa composition. Les femmes y ont un rôle très important, elles sont toujours en première ligne dans toutes les actions, elles prennent la parole, elles discutent de politique avec les hommes du collectif, elles sont présentes pendant les permanences et aident les dernier·e·s arrivé·e·s à comprendre le fonctionnement du groupe, organisent les actions à venir, préparent les dossiers de régularisation.
Wahiba (Algérienne) et Nezha (Marocaine) vivent depuis de nombreuses années en France, mais sont toujours en attente d’être régularisées. Le samedi matin elles nous accueillent pendant la permanence. Wahiba a très envie de parler de son expérience.
« En Algérie je suis diplômée en journalisme et droit. J’ai décidé de venir en France après avoir refusé de partir aux États Unis ou au Canada, où mon dossier avait été accepté. Je souhaitais m’échapper d’un pays misogyne, où malgré mon diplôme et mes capacités je n’aurais jamais eu la possibilité d’entreprendre une vraie carrière dans mon travail. À la dernière minute j’ai eu peur de m’en aller seule dans un pays où je ne connaissais personne. En France je rejoignais ma soeur qui habitait ici avec son mari. En 1999 j’ai commencé alors les démarches pour avoir un visa, mais ce n’est qu’en 2002 que j’ai finalement pu partir. Je me suis trouvé comme ça en France sans papiers, sans travail et obligée à me loger chez ma soeur. »
Qu’est-ce que vous avez fait une fois arrivée en France ?
« Pendant deux ans et demi je suis restée sans travail, presque enfermée à la maison. Je ne sortais pas de peur d’être arrêtée. Je ne connaissais personne, je ne travaillais pas. Après cette période, poussée aussi par mon beau-frère j’ai commencé à sortir, à connaître d’autres gens, d’autres femmes, pour la plupart des algériennes ou des Maghrébines, je trouvais des petits boulots par le biais de ces amies (garde d’enfants, ménage), et j’ai rejoint le 9e collectif, mais ce n’était quand même pas facile. Au fil du temps j’ai appris à ne pas dire que je suis sans papiers, cela rend plus facile l’embauche. Mais quand même ce n’est pas facile de garder ce secret. Et ensuite on est plus exposé à l’exploitation, et en tout cas ce n’est toujours pas facile de trouver quelque chose ».
Provenant d’une famille assez aisée en Algérie, intelligente et diplômée, elle se retrouve à Paris contrainte à accepter toute sorte de tâches, et de conditions. Elle raconte une expérience très grave qui témoigne de l’insécurité dans laquelle ces femmes vivent. Wahiba travaillait comme femme de ménage chez une femme libanaise qui l’a accusée, un jour, d’avoir volé de l’argent. Elle avait probablement découvert qu’elle était sans papiers, et donc qu’elle était facilement exploitable et facilement soumise au chantage. « Ce n’est que grâce à l’intervention de Bahija et au nom du collectif que je suis sortie de cette situation, raconte Wahiba. Cependant je suis restée traumatisée de l’expérience, d’autant qu’il s’agissait d’une femme arabe et que je pensais pouvoir compter sur la solidarité entre femmes. »
Quels sont les problèmes que vous rencontrez au quotidien ?
« Tout d’abord le fait qu’on est mal payées, mais nous sommes obligées d’accepter toutes conditions, parce qu’on a besoin de travailler pour vivre. Nous n’avons pas de droits, pas de sécurité sociale (sauf l’AME, qui vient d’être remise en cause N.D.L.R.), nous avons des grandes difficultés à trouver un logement adéquat. Il faut faire confiance à des amis, et encore on vit dans une petite chambre, au noir, sans aide sociale. Tout ça, surtout pour les femmes, nuit à la possibilité de fonder une famille. Quand on est sans papiers on est soupçonné de vouloir se marier juste pour être régularisé, ou bien on se marie avec toi, parce qu’on sait que tu peux être traitée comme une espèce d’esclave, te soumettre à leurs besoins ».
Le collectif leur permet alors de se défendre de l’exploitation et de leur fragilité. Il les aide à ne pas rester seules et à lutter ensemble, à trouver le courage de revendiquer leurs droits. Nezha, depuis 2003 en France – dactylographe bilingue – confirme l’importance du collectif : « La solitude n’aide pas dans l’accès aux droits, parce qu’on a plus peur, ça permet également de connaître des gens, de parler de sa propre situation, de partager les mêmes expériences, les peurs et les espoirs ». Cuisinière chez des particuliers, Nezha raconte avoir perdu son travail un jour parce qu’un de ses employeurs a découvert qu’elle avait participé à une action du 9e Collectif.
Une fois l’interview terminée, nous nous rendons compte que, malgré tous les problèmes que ces femmes affrontent quotidiennement, elles ne rentrent pas dans les stéréotypes que souvent les discours politiques tentent de soumettre à l’opinion publique. Au contraire, voilées ou pas, elles se sont prises en charge, elles sont actives et courageuses et elles ne renoncent pas à l’espoir de pouvoir un jour mener une vie normale, trouver un travail, revendiquer et accéder à leurs droits.