Le référendum pour la décolonisation de la Kanaky : un enjeu politique et écologique central

Le troisième référendum est actuellement prévu pour le 12 décembre 2021. Il était possible de choisir une date jusqu’en octobre 2022, mais le calendrier électoral de la France est apparu prioritaire : il fallait que le destin de la Kanaky Nouvelle-Calédonie soit décidé avant l’élection présidentielle, à l’issue incertaine sans doute... Les électeur·rice·s inscrit·e·s sur la liste électorale spéciale pour la consultation devront de nouveau répondre OUI ou NON à la question « Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ? ».

Les grands moyens ont été donnés pour expliquer les enjeux du vote. Bien sûr, tout a été fait pour inciter les votant·e·s à refuser toute approche indépendantiste (voir le site des élections qui donne accès au document explicatif sur les enjeux) On a pu aussi entendre la voix impérieuse du gouvernement de la France, comme cette intervention de Jean Castex le 20 octobre à Paris au sénat : « Nous avons réaffirmé notre souhait fort que le choix des Calédoniens soit celui de la France. Nous avons réaffirmé plus que jamais la stratégie de la France dans l’Indo-Pacifique, et ce quelles que soient les décisions tout à fait contestables du gouvernement australien ».

Cependant, l’évolution des populations (naissances et départs volontaires) fait qu’une part non négligeable de jeunes juste inscrits pencherait pour un vote indépendantiste, y compris dans des familles probablement loyalistes, par simple effet de l’éducation commune. On pourrait penser que tous les voyants sont au vert pour les indépendantistes : tous les organes de décision sont majoritairement de ce bord. C’est à nuancer, quand on voit la récente crise du gouvernement local. Pendant un bras de fer entre les exploitants des mines et les travailleurs, les uns supportés par une finance gérée par la métropole (et un capitalisme sans frontière), les autres par les partis et syndicats, la Kanaky Nouvelle-Calédonie s’est retrouvée quelques mois avec certes un président indépendantiste, mais pas de gouvernement, les tendances de cette majorité ne se mettant pas d’accord (pendant ce temps, c’est le gouvernement sorti, loyaliste, qui a continué à gérer les affaires courantes).

Mais une épidémie très mal contrôlée s’est invitée dans le calendrier... L’expansion du Covid-19 sur la Kanaky Nouvelle-Calédonie avait été très minime jusqu’à début septembre, l’ensemble des intervenants la craignant, comme dans toute île aux moyens limités face aux maladies importées, touchant facilement une population mal ou peu protégée. Il y avait eu à signaler des quarantaines pour les militaires (gendarmes) parfois pas assez bien respectées, mais les mesures prises avaient permis un non développement du virus. Hélas, les vacanciers ont dû participer à un relâchement fatal : plus de 260 morts depuis le 6 septembre (voir le site http://reusteur.org/, pour des statistiques et graphiques compilées à partir des chiffres officiels). Les mesures barrières sont difficilement applicables, que ce soit dans les barres d’immeubles de Nouméa, dans les iles ou des tribus isolées (note : le terme tribu renvoie aujourd’hui globalement à une réalité administrative). La vaccination s’est faite très lentement (moins de 60% le 29 octobre), notamment par manque de moyens humains convaincants. L’armée est finalement venue en renfort, semble-t-il un peu tard. Celles et eux encore zélateurs des bienfaits de la colonisation devraient au moins se taire...

Parmi les mesures, depuis le 3 septembre, à l’unanimité, le Congrès de Nouvelle-Calédonie avait décidé que les résidents majeurs doivent être obligatoirement vaccinés. Depuis le 20 septembre, par décret publié au JO de la République Française, l’accès à la Nouvelle-Calédonie est restreint. Il est réservé aux personnes vaccinées. Elles doivent justifier d’un motif de visite impérieux, accepter un test de dépistage à l’arrivée, suivi d’une quarantaine d’une semaine et d’un dernier test en fin d’isolement. La compétence santé avait pourtant déjà été transférée aux autorités calédoniennes, mais il s’agit ici d’un décret de l’État français, qui a adopté des procédures exceptionnelles sur l’ensemble du territoire. Récemment, un assouplissement des mesures de l’état d’urgence, a conduit à des mesures de confinement strict seulement pendant les week-ends…

Dans quelles conditions pourra se passer le référendum ? La campagne commençait à s’organiser sur le terrain. Le très grand nombre de malades et de décès, le confinement, et le respect des familles font qu’elle est de fait pratiquement à l’arrêt. Les indépendantistes proposent un report à l’été 2022, faute de quoi ils annoncent une non-participation au vote. L’organisation elle-même est très perturbée : le scrutin est sous surveillance de renforts (2000 militaires). L’ONU doit aussi faire venir assez tôt en amont, des observateurs pour suivre par exemple les inscriptions sur la liste électorale spécifique, notamment pour celles et ceux qui ont juste l’âge, et celles et ceux qui ne seront pas présent·e·s sur le territoire calédonien.

L’arrivée du virus va sans aucun doute contribuer à un clivage tel que celui vécu en métropole, et influencer à rebours de toute la logique précédente. L’inconnue que représente l’extension du Covid 19, va probablement renforcer la dérive autoritaire et la probabilité de rester sous giron français

Et le nickel ? Son prix de vente est une question essentielle. Les ambitions des vendeurs automobiles étant gigantesques, le besoin de nickel dans les batteries a grossi. Tous les territoires produisant des dérivés du nickel ont été récemment frappés par les remous causés par une industrie bien ancrée dans un capitalisme mortifère. Le cas d’Evergrande, géant du bâtiment chinois (donc utilisateur de métaux), est exemplaire : le risque de faillite est très pesant sur le marché des métaux, par non-paiement ou par non-vente (et grossissement des stocks).

Marqués en Calédonie par des grèves longues, avec des incidents graves (n’oublions pas que les résidus sont dangereux, et que beaucoup de sites sont classés Seveso), l’exploitation des minerais et leur traitement ont repris. Le prix du nickel baisse, limitant en conséquence les revenus des usines plus ou moins contrôlées par les calédoniens... Ceci n’incite pas à l’optimisme des indépendantistes qui comptent sur ces revenus pour financer l’autonomie.

Dans la région, une crise nouvelle s’est ouverte, avec l’accord d’achat par l’Australie de sous-marins américains (annulant la vente de matériels français). Ces sous-marins sont à propulsion nucléaire à uranium enrichi. On assiste là à une prolifération du nucléaire à usage militaire, car cet uranium pourra ne pas être contrôlé par les autorités internationales : toutes les dérives sont possibles. Cette vente s’inscrit hélas dans une alliance belliqueuse. Que les voisins du Pacifique soient eux-mêmes "à risque guerrier" ne justifie pas la possible escalade.

Qui bloquera la prédation de l’immense territoire de la zone économique exclusive par une pêche intensive destructrice ? Qui empêchera l’exploitation des fonds marins, aux richesses minières si peu exploitée à ce jour, mais qui le seront sans doute dès que le prix de revient le permettra ? Comment stopper la massive destruction des terres par l’exploitation forcenée des ressources minières ? Comment se placera la Kanaky dans un désastre écologique annoncé ?

Les habitant·e·s de Kanaky Nouvelle-Calédonie sont placé·e·s devant le choix de la décolonisation. Le mouvement loyaliste, lié à la droite extrême et revancharde (voir les résultats des élections présidentielles à Nouméa) est dans une logique d’affrontement, là où les indépendantistes tentent de faire passer une parole apaisée. Le jour d’après (le référendum), la Kanaky Nouvelle-Calédonie aura choisi son avenir. A cet instant, seront arrivés à leurs termes les accords, dont celui dit de Nouméa. A court terme, la France devra adapter sa position, quel que soit le résultat de ce référendum. Si c’est de rester français (vote non), tout un ensemble initié en mai 1998 doit être revu car n’étant plus applicable. On peut parier sur un statu quo reprenant les équilibres actuels, mais aussi sur un verrouillage institutionnel d’une France inquiète de perdre sa stratégique et rentable base avancée dans le Pacifique. Si le vote indépendantiste est majoritaire, il y aura quelques années pour que se mettent en place une constitution calédonienne et une adaptation de la constitution de la France (devant probablement passer par un référendum, comme celui de novembre 1988).

Anticolonialiste, la FASTI est solidaire des luttes pour l’indépendance de la Kanaky. Le référendum doit se tenir dans les meilleures conditions, et nous demandons qu’il soit reporté puisque les accords en donnent la possibilité.