Petite histoire des Sans-papiers

Les sans-papiers ne sont pas toujours appelés les « sans-papiers ». D’abord désignés péjorativement comme « clandestins », c’est à la faveur des luttes qu’ils et elles ont réussi à imposer ce terme. Retour sur ce combat politique (et sémantique) !

Suite à la parution de circulaires en 1972 mettant fin aux régularisations, des manifestations, des occupations, des grèves de la faim ont lieu, desquels émerge l’expression « sans-papiers ».

Toutefois, c’est en 1996 que surgit sur la scène médiatique et politique un mouvement de sans-papiers. En mars 1996, trois cent personnes, presque toutes ouest-africaines, occupent l’église Saint-Ambroise à Paris pour réclamer leur régularisation. Evacuées quelques jours plus tard, les sans-papiers errèrent de lieu en lieu jusqu’à s’installer en juin dans l’église Saint-Bernard. Ils et elles sont rejoints par des militant.e.s et des célébrités. Selon Madjiguene Cissé, porte-parole des sans-papiers : « Trois cents Africains se sont levés pour réclamer : le droit d’être là, le droit d’être considéré comme des êtres humains, le droit à l’éducation pour leurs enfants, le droit au travail, le droit à un logement décent, en résumé le droit de vivre normalement » .

Préparée dans un foyer de Montreuil, cette mobilisation créa la surprise dans le milieu associatif mais la solidarité s’est vite organisée, notamment à travers des grandes manifestations . Puis, dès le mois d’avril, des collectifs de sans-papiers se forment dans de nombreuses villes de France. Plusieurs collectifs émergent également à Paris.
Les femmes ne sont pas absentes du mouvement : non sans difficultés pour s’imposer, le groupe des « sans-papières » qui avait pris forme dès le mois de mai lors de l’occupation de l’espace Pajol, proteste à partir de janvier 1997 chaque semaine devant l’Elysée.

Les « Saint-Bernard » et leurs soutiens seront évacués le 23 août. Les images des 1500 policiers enfonçant les portes de l’église à la hache resteront dans les annales d’une politique d’état répressive et raciste.

Comme l’explique Madjiguene Cissé, « le terme de sans-papiers s’est imposé dans l’espace public au moment de Saint-Bernard. L’objectif était d’inventer un mot pour changer le regard de la société. Clandestins, cela plaçait les étrangers dans l’illégalité, la délinquance. Sans papiers, cela expliquait leur situation par un déni de droit de la part de l’administration. C’était aussi les inscrire dans un mouvement plus large, qui était celui de "sans" » .

Ce mouvement qui marque l’irruption de sans-papiers venus d’Afrique de l’Ouest sur la scène publique (re)activent plusieurs débats encore en cours : sur les modalités de lutte et notamment les grèves de la faim qui se multiplient alors ; sur la question des critères – faut-il établir une liste de critères permettant la régularisation des sans-papiers ou se battre pour « des papiers pour tous » ? – de l’autonomie des luttes avec le terme « soutiens » qui s’impose pour désigner les Français qui accompagnent le mouvement. Après vingt ans de « maitrise des flux migratoires » et de fermeture des frontières, le mouvement dénonce également que la multiplication de textes législatifs a conduit à fabriquer des sans-papiers.

Depuis quelques années, la focalisation médiatique, politique et même militante sur les « migrants » a conduit à invisibiliser les « sans-papiers ». Même si les catégories sont poreuses et qu’il ne s’agit d’opposer les uns aux autres des victoires restent possibles !

Pour aller plus loin :
Madjiguène Cissé, Paroles de sans-papiers, La Dispute, 1999.
Sans-papiers. Chroniques d’un mouvement, IM’média/Réflex, 1997.


Article rédigé par Camille Gourdeau, militante de l’ASTI 14 et co-présidente de la FASTI