« dehors il y a des droits, ici il n’y a plus de droits »

Dans le cadre d’un travail plus global sur les CRA, voici quelques extraits de témoignages recueillis sur place dans plusieurs CRA entre fin 2021 et début 2022. Ils sont issus d’une série de plusieurs visites et conversations avec les personnes enfermées.

A., au CRA 3 de Vincennes :

« Une fois un policier a frappé un mec en lui disant "viens avec moi”, il l’a caché, donné des gros coups dans la tête, l’a laissé attendre 4h dans une pièce puis l’a relâché. C’est la galère, c’est inhumain, j’ai été partout (en Hollande, en Allemagne…) et je n’ai jamais vu ça, il y a de la maltraitance dès qu’on ne parle pas français, ils leur parlent mal jusqu’à ce qu’on intervienne, y’a que des jeunes policiers, ils se la pètent ».

H., au CRA de Marseille

« On nous met sous pression, c’est pour nous diviser. Ici on est exclus, on nous oublie, on n’existe plus, et nos droits s’arrêtent à la porte, dehors il y a des droits, ici il n’y a plus de droits. Alors moi je pense qu’il faut se battre et rester fort pour qu’on respecte nos droits, mais c’est pas toujours facile. Comme je suis tunisien à cause du terrorisme y’a des amalgames, mais ça c’est grave, parce qu’il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Surtout les gens craquent parce qu’ils ne comprennent pas ce qu’ils font ici, y’en a ils parlent presque pas français, ils sont arrivés y’a pas longtemps et là bam ils se retrouvent ici alors qu’ils ont rien fait. C’est ça le plus dur en fait, on a rien fait, à la limite moi j’ai fait des conneries dans le passé, en 2011 j’ai été en prison, mais ça y est c’est fini ça, j’ai payé, puis j’ai arrêté, je n’ai rien à faire là. Ils nous écoutent pas, quelqu’un pourrait être en train de mourir que ça changerait presque rien, même la grève de la faim on l’a arrêtée parce que ça servait à rien, ils en avaient rien à faire. Après la grève de la faim il y a eu le feu, là c’était bizarre, ils nous ont mis en bas au sous-sol on était dans des cages, ça a duré deux jours. Et depuis ça c’est calme.C’est dur, y’a rien à faire, vraiment c’est pire que la prison. Il y a énormément d’A/R ici et prison, notamment à cause des tests. Trois mois c’est hyper long, et la prison ça rallonge encore tout ça, c’est l’enfer ».

SK., au CRA de Nîmes  :

« J’ai confiance en personne, si même les médecins qui sont censés me soigner le font pas alors je ne peux pas avoir confiance. J’ai peur, j’ai très très peur ici, et aussi j’ai peur pour ma famille ».

H., au CRA de Lyon St Exupéry :

« Ici c’est tellement affreux que je n’oublierai jamais ce que j’ai vu, je ne savais même pas que c’était possible, franchement des fois je regrette vraiment d’être parti de Bosnie. Là-bas c’était vraiment la galère, c’était dur, c’est pour ça qu’on est partis, mais au moins là-bas je savais comment ça fonctionnait, j’avais pas peur, et j’étais près de ma mère, de toute ma famille, quoi qu’il arrive. Ma mère elle me dit courage, elle me réconforte, normal toutes les mamans feraient ça, mais elle ne peut rien faire pour moi. J’essaye de garder l’espoir et le moral mais franchement des fois c’est difficile. Des fois ça va et je mange, et des fois c’est bizarre, on ne voit même pas c’est quoi ce qu’on nous sert, on ne comprend pas, alors je ne mange pas, sauf si j’ai trop faim parce que voilà je ne peux pas me laisser mourir de faim. Des fois j’arrive à arrêter de penser alors je dors mieux, mais quand je pense trop je n’arrive pas à dormir c’est horrible. Mais tu vois moi c’est sûr j’ai tous mes problèmes à moi, c’est normal, on a tous nos problèmes tu vois, mais quand après je vois que y’en a d’autres qui ont encore plus peur que moi, y’en a leurs problèmes ils sont énormes, mais alors là tu vois mais mon cœur il explose, et après il coule, franchement… non mais t’imagines la situation de certaines personnes ici ? Eux c’est normal ils ne veulent pas partir de France alors ils préfèrent rester ici, pendant 3 mois, c’est dur mais ça les dérange moins, et après ils refusent les tests, 3 tests, 4 tests, mais sauf que tu sais maintenant c’est un délit, alors ils vont en prison, non mais t’imagines ? Moi d’accord je suis étranger ici, je le sais, c’est comme ça, je suis un étranger en France alors c’est normal j’ai pas tous les droits, mais quand même, on est tous des êtres humains non ? Si je me coupe ici [montre son poignet] et que je te coupe au même endroit, qu’est-ce qui va sortir ? Toi du sang et moi aussi du sang, moi c’est pas de l’eau ou je ne sais pas quoi que j’ai dedans, moi aussi je suis un être humain .

M., au CRA de Toulouse :

Je crois que y’en a qu’ils ont pris et qu’ils ont frappé, avec un bâton et tout, mais je voyais pas bien et en plus ils avaient leur casques alors on ne pouvait pas savoir qui c’était. On n’a pas le droit de parole, on ne peut rien dire, on doit rester tout seul avec ça, on doit garder ça pour nous .

S., au CRA de Bordeaux :

« Ce dont j’ai le plus peur c’est de moi-même, d’arriver à un moment où je n’arrive plus à me contrôler, où je ne me reconnais plus, et où j’en arrive à me faire du mal. Je ne ferai jamais de mal aux autres mais des fois j’en ai tellement marre que j’ai envie de mettre fin à ma vie, parce que c’est trop difficile et que je ne sais pas comment je vais m’en sortir ».