Délogements et destructions d’habitats à Mayotte, l’Etat hors la loi
La Cimade, la Ligue des droits de l’Homme, le GISTI et la FASTI dénoncent les opérations illégales d’expulsion et de destruction des quartiers informels tous azimuts.
Dans un département sorti tout juste du confinement et malgré la saison des fortes pluies, le Préfet mène, coûte que coûte, des opérations de délogement au mépris du droit et de la santé publique. Il a annoncé avoir détruit 580 habitations depuis octobre 2020, et prévoir la poursuite de cette politique brutale un peu partout sur l’île.
Si le régime exceptionnel en vigueur à Mayotte et en Guyane institué par la loi ELAN (1) permet à l’administration d’expulser les habitant.e.s des habitats précaires sans décision de justice, le préfet est cependant tenu de faire au préalable une « proposition de relogement ou d’hébergement d’urgence adaptée à chaque occupant », dès l’arrêté préfectoral qui doit être notifié au moins un mois avant l’opération. Cette obligation légale n’est pas respectée. Aujourd’hui, aucun relogement proprement dit n’est proposé, la majorité des familles est laissée à la rue et les quelques places en hébergement d’urgence pour quelques nuitées sont inadaptées à la composition des rares familles concernées.
Dans cet excès de zèle et de brutalité, le préfet procède également à des destructions illégales comme les 32 habitations détruites récemment à Dzoumogné. Le juge des référés du tribunal administratif vient de donner raison à une famille plaignante et enjoint au préfet de Mayotte de lui proposer une solution concrète de relogement ou d’hébergement d’urgence dans un délai de 48 heures. Il enjoint également au préfet d’organiser un accompagnement social et psychologique pour toute la famille dont les enfants mineurs ont été traumatisés par cette situation (2).
Ces excès se sont répétés à Koungou. Si le maire de Koungou déclarait : « Les Français concernés par ce décasage ou les étrangers en règle se verront proposer des solutions par la préfecture, les autres n’ont pas vocation à rester à Mayotte », dans les faits il n’en est rien car les associations en charge des enquêtes ne peuvent proposer de solutions de relogement dans un territoire où elles n’existent pas.
En outre, les rafles opérées avant la destruction, les violations de domiciles, les enfants maltraités, les nourrissons gazés, les portes défoncées au petit matin ont choqué des centaines d’habitants qui ont fui précipitamment le quartier, sans solutions pour abriter les leurs. Une véritable politique de la terreur.
Le Préfet se vante de profiter de chaque opération pour interpeller massivement les personnes qui se trouveraient en situation irrégulière. Nous constatons cependant que de nombreuses personnes ont été placées en rétention à la suite de ces expulsions alors même qu’elles disposent d’un droit au séjour ou qu’elles ne peuvent légalement faire l’objet d’une mesure d’éloignement. C’est le cas de parents d’enfants français ou encore de jeunes majeurs arrivés sur le territoire avant 13 ans. Des mineurs déclarés arbitrairement majeurs ont également été expulsés du territoire. Des enfants absents au moment de l’interpellation de leurs parents et restés seuls et isolés à la suite de leur expulsion ont été confiés au service de protection de l’enfance.
En termes de climat social et de politique du vivre ensemble sur une île qui cumule déjà d’importantes difficultés, la communication préfectorale attise les tensions en associant constamment délinquance et étrangers en situation irrégulière mais se garde de préciser qui est interpellé, laissant croire, par exemple, que ce sont les « fauteurs de troubles » comme récemment à Koungou alors qu’il s’agit principalement de familles paisibles et ayant constitué leurs attaches sur le territoire depuis de nombreuses années.
La résorption de l’habitat précaire à Mayotte doit être le fruit d’un travail de fond impliquant l’ensemble des institutions et acteurs concernés ainsi que les habitants pour aboutir à des solutions dignes, pérennes et adaptées comme l’exige la loi. Nos associations demandent qu’il soit mis fin immédiatement à la violence institutionnelle afin que Mayotte puisse retrouver un climat social apaisé et que toutes et tous puissent s’y sentir en sécurité.
(1) Article 197 de la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique
(2) « Dzoumogné : après la destruction illégale, la reconstruction par la justice », Le Journal de Mayotte, 12 mars 2021
Associations signataires :
La Cimade
La Ligue des droits de l’Homme
Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s (Gisti)
Fédération des Associations de Solidarité avec Tou-te-s les Immigré-e-s (Fasti)