Et pendant ce temps là à nos frontières

[Article d’une militante du GasProm ASTI de Nantes] Plus que jamais les frontières sont des cimetières où les violences contre les personnes en migration sont décuplées tout en prenant de plus en plus de formes différentes. La solidarité y est constamment criminalisée.

Voir de plus en plus de personnes en migration précarisées parce qu’étranger-e-s n’est pas le fait du hasard ni une tragique coïncidence historique dont nos territoires seraient victimes. Tout comme le quotidien des personnes vivant dans les banlieues pauvres en France, le traitement des personnes étrangères relève d’une idéologie. Le célèbre camp de Moria à Lesbos n’est pas une tragédie, ni une mauvaise gestion mais un concept en lui-même et il fait partie d’un concept plus large qui englobe tous les camps en Europe et aux frontières extérieures, tout comme les morts aux frontières, les personnes laissées dans la neige sur la route des Balkans, ou à vivre dans les rues ou des bidonvilles en France. La violente répression étatique de l’action des migrants sans logis Place de la République cet hiver à Paris ne peut être mise au compte d’une erreur d’appréciation, ni de la faute d’un mauvais préfet au mauvais moment.
Pour cette première édition, on propose une rapide vue globale de la situation depuis l’année 2020, qui a vu un durcissement des pratiques par les autorités aux frontières, de nouvelles routes dangereuses se développer et une criminalisation sans gêne de la solidarité.

Parmi les pratiques systématiques des autorités aux frontières à l’intérieur de l’Europe (en Grèce, sur la route des Balkans, à la frontière italienne et à celle avec l’Angleterre), signalons le passage à tabac, la confiscation des chaussures et des blousons et le dépouillement des personnes de leurs affaires personnelles (sacs à dos, documents, téléphones portables, argent personnel). Il est à noter aussi de plus en plus de personnes laissées sans abri, ou alors mises dans des camps, mais sans douches, et avec un semblant de WC pour la photo. Et que dire de cet homme qui s’est vu amputer des deux pieds après avoir traversé la frontière franco-italienne cet hiver. Voir les rapport de Tous Migrants.

En Grèce :

Beaucoup de choses se sont passées cet hiver. Dans un précédent numéro d’Inter Raï nous avions évoqué les refoulements en mer à la frontière gréco-turque. L’ONG Mare liberum a publié un rapport1 documentant 321 cas de refoulements impliquant plus de 9000 personnes.
Les autorités ne semblent plus avoir de limites dans le développement des formes de violences pour dissuader les gens de venir, et pour détruire celles et ceux qui arrivent par un moyen ou par un autre. Tout comme vivre à la rue tue, vivre dans des camps comme celui de Moria tue également. Parmi les scandales humains, deux drames récents montrent crûment la perpétration de la violence jusque dans les derniers recoins de la souffrance.

  • Un père qui a perdu son fils pendant la traversée entre la Turquie et l’île de Samos est attaqué en justice par le gouvernement grec pour avoir mis en danger la vie de son fils et ayant entrainé sa mort. Il risque plus de 10 ans d’emprisonnement. De son côté, avec son avocat, il attaque le gouvernement grec pour non assistance à personne en danger, les secours ayant mis des heures et heures à les secourir alors qu’ils avaient l’information. Une femme enceinte de huit mois est également décédée pendant cette traversée où le bateau a chaviré après s’être échoué contre des rochers, battu par le vent et les vagues.
  • Une femme enceinte de huit mois s’est immolée dans sa tente au camp de Moria 2 après l’annulation du transfert de sa famille en Allemagne. Transférée à l’hôpital, elle est gardée par des policiers car poursuivie pour incendie criminel. Le tribunal avait même demandé à ce qu’elle soit entendue depuis son lit l’hôpital.

La route des Balkans :

Dans son rapport de février 2021 l’ONG Border Monitoring Violence Network rapporte la chasse aux réfugié-e-s qui est menée au delà des zones frontières, c’est-à-dire jusque dans les villes ou villages, où les policiers font des descentes de nuit dans les hôtels pas chers où les réfugié-e-s peuvent louer une chambre pour la nuit. Les personnes sont alors embarquées et renvoyées au delà de la frontière la plus proche. Le message est clair : nous ne vous laisserons aucun espace de repos disponible, il n’y a plus d’espace privé possible pour les personnes en migration. À travers différents témoignages et rapports, il est également clair que l’espace des soins médicaux n’est plus un espace d’asile comme il l’a été et que l’accès aux soins n’est plus respecté face à la volonté de refoulement, la police gardant les malades les plus graves, et imposant leur autorisation au médecin pour administrer les médicaments à la patiente concernée (témoignages aussi depuis les Canaries).

Bosnie Herzégovine :

L’incendie du camp de Lipa en Bosnie Herzégovine a mis 1300 personnes a la rue en plein mois de décembre dernier. Ce camp, prévu pour être temporaire, sans chauffage et sans électricité aurait dû être fermé, au moins réhabilité depuis trop longtemps. L’OIM (Office International des Migrations) avait d’ailleurs annoncé le retrait de son personnel en raison des conditions de vie trop indécentes données aux personnes devant y habiter.
Suite a l’incendie, les personnes n’ont reçu aucun secours, se sont refugiées dans les bois environnants ou dans Les tentes encore debouts, sans eau courante, ni électricité, ni chauffage, avec un repas par jour distribué par la Croix-rouge et pas assez de couvertures pour tout le monde. Les autorités locales ont bloqué l’ouverture en urgence d’un ancien centre d’accueil et les policiers ont de leur côté empêché celles et ceux qui le souhaitaient de rejoindre la capitale du canton située à 30 kms du camp. Le 30/12, des cars ont été affrêtés pour évacuer le camp mais suite a un autre blocage des autorités locales, les cars sont repartis vides alors que les gens ont attendu a l’intérieur pendant plus de 30 heures, maintenus comme des prisonniers.
L’armée a été envoyée pour contrôler la zone pendant plusieurs jours et pour réinstaller des tentes. Aucune action ni de l’UE, ni de l’ONU...

Croatie :

En 2020, la police croate s’est démarquée dans l’échelle des violences pour avoir marqué des migrants d’une croix sur le crâne à la peinture orange. Les personnes ont été marquées de force après avoir été dépouillées de leur argent et de leurs chaussures.

Hongrie :

Le 17 décembre 2020, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) a estimé que la législation hongroise en matière d’asile était contraire aux règles de l’UE. En réponse à une procédure d’infraction engagée par la Commission en 2015, la Cour a estimé qu’il était "pratiquement impossible" de demander l’asile en Hongrie.
Depuis la fermeture des zones de transit, de nouvelles lois stipulent que le seul moyen légal de demander une protection internationale en Hongrie est de passer par ses ambassades à Belgrade ou à Kiev. Ce système est en violation flagrante du droit international. Le jugement a egalement critiqué les pratiques de pushback de la Hongrie et a réaffirme l’illégalité des refoulements (légalisés en Hongrie depuis 2016)

Solidarité attaquée

La criminalisation de la solidarité n’est pas nouvelle mais se transforme en une norme regrettable mais comme un peu acceptable. La situation a Calais en est le triste exemple avec_une mairie qui peut rendre illégale la distribution de nourriture sans aucun problème, no critique. Les solidaires qui résistent et distribuent boissons chaudes et repas y sont verbalisés alors que rien n’est fait contre les individus qui s’en prennent violemment aux personnes réfugiées et aux solidaires. La victoire de Cedric Herrou fait du bien au coeur mais ne vient pas pour autant éteindre cette tendance à lancer des poursuites judiciaires pour empêcher les solidaires d’agir.
Mars a vue l’ouverture du procès contre l’équipe de IUVENTA,_ de MSF et de Save the children : les sauveteurs volontaires de ces 3 ONG risquent jusqu’à 20 ans de prison pour avoir sauvé la vie de plus de 14000 personnes.3
Pour documenter les violations des droits de l’homme en mer l’Ong Mare Liberum se retrouve accusée d’espionnage et de participation a une organisation criminelle, de facilitation à l’immigration et bla bla bla bla...Avec elle 3 autres ONG ( donc 35 personnes en tout) sont également attaquées pour les mêmes raisons : Sea Watch, Alarmphone et Joosor._ Ces accusations rappellent celles de la nageuse-sauveteuse syrienne Sarah Mardini et du plongeur-sauveteur allemand Seán Binder qui ont été arrêtés à l’été 2018 après avoir aidé à repérer des bateaux de réfugiés en détresse sur l’île grecque de Lesvos4. Ils ont dejà fait 100 jours de détention en Grèce, et ont été libérés sous caution. Ils risquent toujours 25 ans de prison. Il n’existe aucune preuve d’un quelconque acte répréhensible des bénévoles comme Sarah, Seán ou leur compagnon Nassos. Pourtant, ce n’est pas une garantie de justice.

La menace de la prison est brandie mais surtout la répression est déjà effective : la peur est injectée, des individus sont terrorisés, le discrédit est porté, une part de l’énergie collective est de fait détournée par la procédure alors qu’elle serait plus utile sur le terrain...et surtout ces organisations doivent souvent cesser d’agir ou réduire la voilure de leurs missions. Et pour reprendre les mots des Iuventa 10, pendant ce temps la des gens meurent en mer.

Néanmoins, la plus violente criminalisation est celle perpétrée contre les personnes qui ont le moins de soutien et le moins de ressources, a savoir les personnes réfugiées elles-mêmes. Cette criminalisation est continue et bien plus violente par la différence de traitement de la part des autorités qui peuvent facilement afficher un racisme décomplexé et lâche. Facile de mettre en prison quand il n’y a pas de défense forte a qui faire face. Parmi ces personnes il y a :

  • À Malte, trois jeunes risquent la prison pour avoir aidé d’autres demandeurs et demandeuses d’asile à échapper à la torture. Ils avaient convaincu le capitaine du navire El Hiblu qui les avait recueillis en mer de renoncer à les débarquer en Libye.5
  • Six personnes emprisonnées depuis six mois sans jugement pour l’incendie du camp de Moria, dont deux mineurs qui viennent d’être condamnés à cinq ans de prison par un jugement expéditif du tribunal de Mytilène à Lesbos.6
  • Les 2 seules personnes issues de pays tiers parmi les membres des 4 ONG (35 personnes) ciblées par les autorités grecques l’été dernier, sont les seules a avoir été arrêtées et elles ont déjà fait 6 mois de prison. Elles ont été relâchées mais le mal est fait et leurs demandes d’asile sont de fait impactées.

Frontex

L’agence Frontex, qui supervise les frontières extérieures de l’UE à 27, est attaquée par trois avocats et deux ONG qui ont introduit un recours auprès de la cour de justice de l’Union Européenne, pour complicité de "crime contre l’humanité". L’objectif est d’obtenir le retrait de Frontex de la Mer Égée.
Frontex doit également répondre aux législateurs de l’Union européenne qui dernièrement ont refusé de signer le budget de l’agence de garde-frontières et de garde-côtes de l’UE en raison de préoccupations concernant des allégations de violations des droits, de manquements à l’embauche et de harcèlement de la part de hauts responsables de Frontex.
La commission du contrôle budgétaire du Parlement européen a reporté son approbation du budget 2019 de Frontex "jusqu’à ce que des clarifications supplémentaires soient apportées sur une série de questions." Le procès n’a pas encore eu lieu mais Frontex est sous pression à la suite d’une série d’allégations selon lesquelles elle était impliquée dans des refoulements illégaux de migrants, notamment en mer Égée entre la Grèce et la Turquie. Certain·e·s député·e·s européen·ne·s appellent le chef de Frontex à démissionner. Le Parlement européen a également mis en place son propre "groupe de contrôle", qui devrait publier ses conclusions sur l’agence au cours de l’été.
Ils ont également fait état de cas de harcèlement et d’éventuelles rencontres entre le personnel de Frontex et des lobbyistes d’entreprises, et ils souhaitent que le groupe de contrôle de l’assemblée soit davantage impliqué dans les enquêtes sur les refoulements. Si Frontex ne parvient pas à clarifier comme demandé les questions à l’automne, l’assemblée pourrait refuser purement et simplement d’approuver son budget 2019, mais une telle décision serait sans précédent.

1 https://mare-liberum.org/en/pushback-report
2 https://www.borderviolence.eu/balkan-region-report-february-2021/
3 https://www.amnesty.ch/fr/themes/defenseurs-des-droits-humains/libre/docs/2020/mettre-fin-a-lenquete-contre-le-iuventa-10
4 https://www.rfi.fr/fr/emission/20200104-grece-benevoles-ong-prison-sarah-mardini-sean-binder-avoir-sauve-vies
5 https://www.amnesty.org/fr/get-involved/take-action/w4r-2020-malta-el-hiblu-3/
6 https://www.infomigrants.net/fr/post/30782/grece-deux-jeunes-afghans-condamnes-a-cinq-ans-de-prison-pour-l-incendie-du-camp-de-moria

Article rédigé par Sabrina L.