Qu’entendons-nous par liberté de circulation et d’installation ?

Nous retranscrivons ici une intervention de la FASTI dans le cadre d’un webinaire organisé par Migreurop sur la liberté de circulation en octobre 2021.

La FASTI est née en 1967 et assez rapidement dans son histoire, elle va adopter un positionnement anticolonialiste, antiraciste et anticapitaliste en plaçant la question de l’égalité au cœur de ses luttes.

Ce cadre est intéressant à rappeler puisqu’il est préalable à l’adoption en interne de la revendication de liberté de circulation et d’installation qui date de la fin des années 1980/début 1990. Plutôt qu’une fin en soi, cette revendication apparait à la FASTI comme une nouvelle liberté à conquérir s’inscrivant totalement dans la continuité de notre positionnement historique.

Avec nos « lunettes anticolonialistes », nous voyons cette liberté comme un enjeu clair d’égalité nord/suds puisqu’elle viendrait remettre en cause la gestion coloniale des frontières et des migrations (que ce soit dans la politique des visas – dont la dimension coloniale a bien été illustrée par les récentes annonces concernant les pays du Maghreb - ou dans plus globalement la politique d’externalisation des frontières).

Par ailleurs, avec nos « lunettes anticapitalistes », nous refusons de voir dans la liberté de circulation et d’installation une quelconque opportunité économique ou démographique. Par ricochet, on ne s’inscrit pas dans des types d’argumentaires qui comparent, de façon comptable, les couts et les bénéfices des migrations et qui affirment que les migrations sont une richesse. Il nous semble que cette approche, qui peut paraître de bon sens à première vue, porte en elle le risque de déshumaniser les personnes en les considérant comme des variables d’ajustement au capitalisme. L’enjeu principal pour nous est celui de l’égalité et des droits.

C’est justement cela que nous mettons derrière la liberté de circulation et d’installation : concrètement, il s’agirait pour nous de permettre à chacun-e de pouvoir circuler et s’installer librement là où il le souhaite et d’avoir accès aux mêmes droits que les nationaux (le droit commun).

Cependant, une fois que nous avons dit ça, plusieurs questions ont longtemps traversé notre Mouvement et le traverse encore aujourd’hui : comment y parvenir ? Quelles traductions concrètes pourraient prendre cette liberté de circulation et d’installation ? comment, avec les premier-e-s concerné-e-s, rassembler large autour de cette revendication et faire basculer le rapport de force en notre faveur ?

En 2020, nous avons lancé une campagne pour l’abrogation du CESEDA (le code des personnes étrangères) pour essayer justement de concrétiser la liberté de circulation et d’installation. Le CESEDA est une question cruciale selon nous puisqu’il crée une discrimination légale entre les personnes françaises et étrangères. Dans notre argumentaire de campagne, nous replaçons ce code dans une perspective historique et politique en montrant en quoi il s’inscrit dans une logique coloniale, raciste et sexiste.

Cette revendication (l’abrogation du CESEDA) n’est pas suffisante car elle se limite au contexte français. Elle ne prend pas non plus en compte les obstacles à la migration qui se posent dès les pays d’origine et de transit. Mais nous pensons qu’elle invite à penser un monde dans lequel il n’y aurait pas de législation d’exception pour les personnes étrangères : leur droit au séjour serait automatique et elles bénéficieraient du droit commun. Par extension, cette projection invite à réfléchir à des modèles politiques et économiques alternatifs à ceux qui nous gouvernent aujourd’hui (ceux de l’Etat-nation et du capitalisme).

Cette campagne est déployée à travers des rencontres publiques (dans notre Mouvement et avec nos partenaires) et sur les réseaux sociaux, grâce à un panel d’outil (un argumentaire, des visuels, une vidéo de campagne etc.).

Elle est née du besoin, exprimé par les militant-e-s des ASTI, de sortir de la défensive vis-à-vis des réformes successives du CESEDA et de prendre de la hauteur en se situant sur le plus long terme. Bien entendu, on ne s’attend pas à ce que le CESEDA soit abrogé dans les prochaines années, nous assumons porter une vision utopiste mais ne voyons pas en ça un problème. Il nous semble même que penser nos utopies nous permet de sortir d’une vision contrainte, de s’autoriser à remodeler nos imaginaires collectifs et de donner un cap à nos actions.