Qu’est ce que l’islamophobie ?

Par Karen et Lamia d’ALCIR (Association de Lutte Contre l’Islamophobie et les Racismes). Extrait de la brochure "Comprendre et combattre les discriminations".

Le racisme a pris un nouveau visage, qui s’ajoute à l’ancien : l’islamophobie. L’islamophobie ne s’attaque plus directement à la couleur de peau ni à l’origine, mais à la manifestation culturelle la plus visible : la religion.

Ce « nouveau » racisme considère l’islam et les croyant-e-s comme une menace pour la société française.

On a le droit de critiquer toutes les religions. Le blasphème n’est pas interdit. Il s’agit là de libertés démocratiques fondamentales. Le débat n’est donc pas là.
Le problème, c’est que la critique de l’islam est le plus souvent un prétexte au développement de thèses racistes. Lorsque par exemple, on représente le Prophète coiffé d’un turban en forme de bombe, il ne s’agit évidemment en rien d’une caricature de Mohamed qui vivait à une époque où le terrorisme n’existait pas. Il s’agit de laisser entendre que l’islam est terroriste par nature, et donc que les musulman-e-s sont tou-te-s des terroristes. Il est donc, de ce fait même, une incitation raciste à la haine islamophobe.
Dénoncer le racisme en général, c’est bien, mais si l’on veut aller plus loin que les beaux discours, si l’on veut changer les mentalités, il faut être précis et concret. Nous saluons les associations qui luttent contre le racisme anti-rrom, anti-noir, antisémite. Nous nous retrouverons volontiers dans des luttes communes mais nous voulons lutter contre l’islamophobie spécifiquement pour être efficaces et parce que nous sommes sensibles à la spécificité de cette forme de racisme nouvelle.

Alcir, un cas « d’école »
Au lendemain des attentats meurtriers contre Charlie Hebdo et l’Hyper-Casher, à la sortie d’une école du 20ème arrondissement comme partout en France ce jour-là, on ne parle que de l’horreur des événements, de la manifestation « d’unité nationale » prévue le dimanche, des déclarations des personnalités médiatiques et politiques. Un climat de peur, de suspicion, de méfiance venait de s’abattre comme un fléau sur le pays.
Devant l’école, de nombreuses mères musulmanes disent leur peur de voir l’islamophobie progresser encore. Car tandis que partout dans la ville s’affichent des « Je suis Charlie », des mères voilées ont été prises à partie et injuriées. L’une a dû essuyer le crachat d’un homme dans un bus, une autre reçoit des mails racistes de ses collègues au travail, une troisième a reçu des projectiles depuis une fenêtre …
C’est dans ces journées, sur le trottoir devant une école que la nécessité de faire quelque chose s’est imposée alors à quelques-un(e)s d’entre nous. Au début, il s’agissait simplement de se retrouver pour essayer de comprendre ce qui se passait, d’évacuer la colère et de tenter de se rassurer. Au bout de quelques mois, alors qu’au fil des rencontres (chacune ramenant une amie, une connaissance), nous voyons se multiplier les témoignages de racisme anti-musulman, nous avons compris qu’il fallait aller plus loin et créer un cadre plus large, plus visible, susceptible d’accueillir celles et ceux qu’inquiétait le développement du racisme anti-musulman. Nous avons donc créé ALCIR-20, l’association de lutte contre l’islamophobie et les racismes de Paris 20.

Qui est ALCIR ?
Aujourd’hui, l’association, laïque, compte une bonne cinquantaine de membres, musulmans ou non, croyants ou non. Des membres qui sont très majoritairement des femmes. Sans que nous l’ayons prémédité, ce sont elles qui se sont mobilisées, d’abord parce que l’islamophobie frappe en premier lieu des femmes.
L’association a cependant aussi bénéficié de l’expérience de militants et militantes antiracistes expérimenté-e-s qui y ont adhéré progressivement. Venu-e-s de Mamans toutes égales, de l’UJFP, du MRAP, de petits groupes locaux comme Quartier libre, ils et elles ont permis d’élargir l’horizon de l’association et de s’approprier une riche et ancienne expérience. Quant aux militant-e-s de partis politiques, ils et elles sont encore peu nombreux et se réduisent à quelques militant-e-s d’Ensemble ! et du NPA.

Que fait ALCIR ?
Ouverte à toutes et à tous, l’association est d’abord un espace de rencontre où les victimes de l’islamophobie peuvent témoigner, échanger, s’entraider.
C’est aussi un lieu de lutte et de réflexion pour défendre les libertés de chacun-e et l’égalité de tou-te-s. Notre collectif condamne tous les racismes, qu’ils prennent pour cible les noirs, les juifs, les Rroms, les asiatiques. Mais si nous combattons plus spécifiquement le racisme antimusulman, c’est parce que nous constatons que l’Etat qui condamne généralement les autres racismes, à l’inverse, sous-estime, nie, alimente l’islamophobie.
Nous informons et nous sensibilisons nos concitoyen-ne-s sur le racisme anti-musulman en organisant des débats publics sur la laïcité, sur les conséquences de l’application de l’état d’urgence et en créant une exposition de photos de portraits de femmes musulmanes pour donner la parole à celles qui ne l’ont pas, les femmes, premières victimes de l’islamophobie. Nous allons à la rencontre des gens dans la rue pour engager le dialogue : comment combattre les amalgames et l’essentialisation qui stigmatisent les musulman-e-s ? D’où viennent les préjugés, la haine et la peur qui contaminent de plus en plus de citoyen-ne-s ? Quelles sont les causes, les motivations de ce racisme structurel ? Quelles sont les conséquences pour tous les citoyen-ne-s françai-se-s ? Comment briser le consensus sur la question identitaire et créer les conditions d’un débat ? Quelles seraient les propositions pour construire une société plus démocratique ?

Nous laissons une large part aux débats informels et conviviaux avec les habitant-e-s du quartier. Ainsi, l’association invite, lors du ramadan, les habitant-e-s et les associations du quartier à des repas festifs et amicaux. En ce moment, nous nous consacrons à exposer une série de portraits photographiques de femmes musulmanes, accompagnés de textes de témoignages où elles évoquent leur vie, leur sensibilité, et parfois les violences islamophobes qu’elles ont subies. Réalisée par Nathalie Bardou, une photographe professionnelle membre de l’association, cette exposition, présentée dans des salles ou dans la rue est un moyen de discuter avec les passant-e-s. Elle permettra peut-être de contribuer à faire évoluer certaines représentations de « la » femme musulmane, trop souvent considérée comme une victime, soumise, passive et aliénée.

Parfois, notre association est en mesure de riposter lorsque des événements ou des décisions nous paraissent empreints de racisme. En novembre 2015, lorsqu’est organisée dans les locaux de la Mairie une conférence destinée aux enseignant-e-s du primaire sur la laïcité animée par Monsieur Seksig, un inspecteur de l’Education nationale qui milite depuis des années pour étendre l’interdiction des foulards à l’enseignement supérieur, nous avons interpellé les enseignant-e-s à la sortie de la conférence et débattu avec elles et eux du contenu de la loi de 1905. Nous avons aussi lancé une pétition pour que les parents végétariens ou de confessions musulmane, juive, hindoue puissent demander que la viande ne soit pas servie à leurs enfants à la cantine en maternelle.

Enfin, lorsque l’occasion s’en présente, nous participons à des événements plus importants. Nous étions à la manifestation « 8 mars pour toutes », pour les droits de toutes les femmes en mars dernier à Belleville. Nous avons participé à des manifestations de solidarité avec les migrant-e-s ou au dernier forum Reprenons l’initiative à Saint-Denis.
Local et national

Etre une association locale ne signifie pas que nous restons localistes. Car l’actualité nationale démontre la responsabilité de l’Etat. Il y a eu l’état d’urgence, le projet de loi sur la déchéance de nationalité, les arrêtés anti-burkini, la circulaire Châtel toujours en application qui permet à l’équipe enseignante d’interdire l’accompagnement des sorties scolaires aux mères voilées, l’affaire de la jupe longue, le projet de loi européen qui autoriserait les entreprises privées d’exiger de leurs salariées d’enlever leur hijab, l’abandon du projet de récépissé du contrôle d’identité. Depuis la loi de 2004 qui interdit aux élèves le port du voile dans les établissements scolaires, on assiste à l’extension de lois qui stigmatisent et discriminent les musulman-e-s. Le droit à la différence pour les musulman-e-s semble se traduire dans notre pays par des différences de droits.
En avril dernier, notre Premier ministre Manuel Valls déclarait : « C’est quoi aujourd’hui les priorités de cette société ? Bien sûr, l’économie, le chômage mais qu’est- ce qui est essentiel ? C’est la bataille culturelle ! C’est la bataille identitaire. Parce que si nous ne gagnons pas cette bataille, le reste ne comptera pas. Le reste sera balayé » et en juin 2015 : « L’Islam sera un enjeu électoral ». Pour ne pas remettre en cause les mécanismes qui produisent l’inégalité sociale et le partage des richesses, l’Etat construit une idéologie marquée par son passé colonial qui vise à montrer qu’il y aurait des cultures supérieures à d’autres et que si la misère et le chômage touchent en premier lieu les noirs, les arabes, les Rroms et les musulmans, ce serait finalement à cause de leur culture. Universalistes et progressistes, les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et le principe de laïcité sont devenus les instruments pour exclure ou assimiler. Dévoyés, ils servent désormais l’ethnocentrisme et le conservatisme du pouvoir.

Insidieusement, artificiellement, l’Etat créé une frontière de plus en plus difficile à franchir qui sépare les musulman-e-s d’un côté des non-musulman-e-s de l’autre. Les musulman-e-s, au prétexte de leur religion, sont désigné-e-s comme étant les ennemis de la République. Cette frontière se ressent dans la société : plutôt que de nous unir contre nos ennemis communs, ceux qui monopolisent les richesses et le Front National, nous, citoyen-ne-s, nous divisons à propos du burkini. Pendant ce temps, la politique d’austérité peut continuer son petit bonhomme de chemin, comme si de rien n’était. Comme si la misère et l’accroissement des inégalités n’étaient aucunement responsables de la montée du FN ou des attentats sanglants qui ont frappé la France. Comme si les mesures policières et sécuritaires étaient la solution.

En créant les conditions de la rencontre entre les habitant-e-s, l’association espère démontrer qu’on peut très bien être musulman-e et défendre les valeurs de la République et le principe de la laïcité, contrairement à ce que certains politiques voudraient nous faire accroire. En fait, cette prétendue incompatibilité se transforme peu à peu en un interdit ! Ce ne sont pas les musulman-e-s qui rejettent la République mais plutôt la République d’aujourd’hui qui exclut les musulman-e-s. C’est en dénonçant ce mensonge et ce bannissement que nous pourrons combattre l’islamophobie.

Notre souhait, c’est que partout, en France, des citoyens s’organisent pour dénoncer la responsabilité de l’Etat dans cette montée de l’islamophobie afin de forcer l’Etat à réagir et à condamner à son tour les discours et les actes antimusulmans. Notre but, c’est de stopper la vague islamophobe.

Le meeting du 21 septembre 2016 : interpeller la gauche.

En mars dernier, lors de la première réunion du Printemps républicain, nous n’avions pas réagi, faute de temps et de moyens. Lorsque nous avons appris qu’une nouvelle réunion du Printemps républicain était programmée pour le 21 septembre, nous avons décidé de faire quelque chose.

Nous avons donc écrit et lancé le 14 juillet un appel « Pour un printemps de la liberté, de l’égalité, de la fraternité. » Ce texte rappelait simplement que la loi de 1905 protège la liberté de conscience et de culte ; que la République n’est pas assiégée par les musulman-e-s qui voudraient islamiser notre pays ; que dans les quartiers populaires, le problème n’est pas celui des appartenances religieuses ou nationales, mais la dégradation des services publics, les bas salaires, la discrimination et le chômage. Il faisait aussi quelques propositions pour commencer à faire reculer le racisme dans notre pays.

Cet appel a circulé pendant l’été et a reçu le soutien de nombreux signataires, d’Etienne Balibar à Jean Baubérot, de Christine Delphy à Sylvie Tissot, de Rony Brauman à Daniel Mermet…

Pour mieux incarner les perspectives de l’appel, un meeting a été organisé à la salle Confluence dans le 20ème, le 21 septembre. Il a été, à notre échelle de jeune organisation locale, un grand succès, en rassemblant plus de 250 personnes.

Lors de ce meeting, des habitantes de quartiers populaires de la région parisienne ont témoigné de l’islamophobie qu’elles ont subie. Des tables rondes animées par Saïd Bouamama, Ismahane Chouder, Nacira Guénif-Souilémas, Yasser Louati, Pierre Tévanian ont permis de prendre la mesure de la gravité de la situation dans notre pays et de débattre de la façon d’y remédier.

Et demain on fait quoi ?
Alcir a pour objectif de grandir et de voir naitre d’autres antennes en France, afin que partout dans notre pays les citoyen-ne-s musulman-e-s ou non puissent s’entraider, se former, se défendre et sensibiliser leurs concitoyen-ne-s sur un racisme qui est trop souvent minimisé voire nié.

C’est un objectif fondamental pour la liberté et l’égalité de tous !

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