Droit international et personnes mortes aux frontières

Un binôme d’étudiantes de la clinique juridique de l’Université de Nanterre s’est penché cette année sur une conséquence particulièrement délétère du racisme commandant les politiques migratoires européennes.

Elles ont travaillé sur la possibilité de saisir les comités onusiens dédiés aux droits humains fondamentaux en vue de faire reconnaître la responsabilité des États à la suite des naufrages mortels en mer.

Merci à Mialone Hournon et Nolwenn Poupelard.

D’après les statistiques recensées par l’Organisation mondiale pour les migrations, depuis 2014, au moins 50 000 personnes migrantes sont mortes ou portées disparues dans le monde.

Ce chiffre est alarmant dès lors que les personnes concernées ont quitté leur pays parce que les conditions politiques, économiques ou sociales ne leur permettaient pas de jouir de tous leurs droits et qu’elles cherchaient à bénéficier de meilleures conditions de vie dans le pays qui serait leur État d’accueil. Celles et ceux que l’on nomme migrants tentent, le plus souvent au péril de leur vie, de rejoindre d’autres Etats dans lesquels ils et elles ne seront pas victimes de persécutions ou d’atteintes aux droits de l’Homme, et il est malheureusement de plus en plus fréquent que de nombreuses personnes ne survivent pas au trajet.

Les exemples sont nombreux et témoignent d’un phénomène qui peut être nommé une “crise persistante de la migration non sécurisée dans le monde” (OIM : plus de 5 000 décès enregistrés sur les routes migratoires européennes depuis 2021). Les décès aux frontières se multiplient, les personnes migrantes prennent tous les risques pour monter sur des embarcations de fortune qui sont la plupart du temps surchargées et les naufrages sont de plus en plus fréquents. Les frontières européennes n’échappent pas à cette crise et on constate une augmentation drastique des décès aux abords des frontières des Etats européens tels que Malte, l’Italie, la Grèce ou encore l’Espagne et la France.

Les exemples de ces drames sont nombreux. Le 27 mars 2011, un navire a quitté le Liban avec à son bord 72 personnes. Rapidement à court de carburant, le bateau a dérivé pendant 14 jours avant de s’échouer sur les côtes libyennes. Seules 9 personnes sur les 72 présentes à bord ont survécu. Pour celles qui n’ont pas eu la chance de survivre, ces 14 jours ont été une épreuve puisqu’elles ne disposaient ni de nourriture ni d’eau. Cette affaire qui a été relayée par les médias, a été renommée l’affaire du “Left to die boat” (littéralement “le bateau abandonné à la mort”) et pour cause, les personnes présentes sur le navire ont contacté les autorités extérieures en émettant un appel de détresse. Ils ont donc établi le contact et les Etats ont choisi de ne pas agir, manquant ainsi à leur obligation de porter assistance.

Cet accident n’est malheureusement pas le seul à s’être produit et il est encore trop récurrent que la vie des personnes migrantes soit mise en danger sans que des moyens efficaces de les protéger ne soient mis en œuvre. La gravité de la situation est indéniable et les associations qui viennent en aide aux personnes concernées restent impuissantes face à l’inaction des Etats.

En effet, ces derniers cherchent à se dédouaner de toute responsabilité et refusent parfois même de communiquer toutes les informations sur les accidents ou de mener les enquêtes à leur terme afin de ne pas révéler une carence de la part de leurs agents. Les décès des personnes migrantes aux frontières sont pourtant une réalité et il est primordial d’assurer les droits fondamentaux de ces personnes parmi lesquels le droit à la vie et le droit à la sûreté.

L’exemple de l’affaire Melilla démontre que ces droits sont encore loin d’être respectés. 37 personnes migrantes originaires d’Afrique subsaharienne ont trouvé la mort alors qu’elles cherchaient à traverser la frontière du Maroc pour entrer dans l’enclave espagnole de Melilla. De nombreuses autres personnes ont été portées disparues et toutes ont été soumises à des violences de la part des autorités marocaines et espagnoles qui ont eu recours à des équipements anti-émeutes, du gaz lacrymogène ou encore des projectiles en caoutchouc.
Malgré la gravité de la situation, les autorités marocaines ont refusé de coopérer pleinement avec les membres de la famille des victimes ou encore, pour certains, de restituer les corps aux familles.

Ces situations ne sont pas des phénomènes isolés et obligent les juridictions à se prononcer sur la responsabilité des Etats en la matière.

Des actions sont possibles pour obliger ou, à tout le moins, inciter les Etats à prendre des mesures, qu’elles soient conservatoires ou permanentes, afin que les droits de l’Homme soient respectés. Il est notamment possible de saisir les comités onusiens tels que le Comité des droits de l’Homme, le Comité contre la torture ou encore le Comité pour les droits de l’enfant.

L’objectif de ces saisines est avant tout de faire reconnaître la responsabilité de l’Etat dans l’atteinte portée aux droits de la victime mais également, à terme, de pouvoir invoquer les décisions des comités pour espérer inciter le juge national à faire évoluer sa jurisprudence et appliquer concrètement ces décisions.

Face à l’ampleur des atteintes portées aux droits de l’Homme des personnes qui cherchent à fuir leur pays pour se réfugier en France et dans les autres Etats de l’Union européenne, les associations telles que la FASTI cherchent à encourager les victimes à mobiliser les mécanismes internationaux permettant de garantir leurs droits les plus fondamentaux.
Le présent guide se concentrera sur la saisine des comités du système de l’Organisation des Nations Unies (appelés ci-après “comités onusiens”) qui se prononcent sur la violation des droits consacrés par de nombreux pactes et conventions auxquels les Etats européens, et notamment la France, sont parties. Les décisions citées ci-dessous porteront sur la France et des Etats proches de la France : l’Italie, l’Espagne et Malte.

Toute personne qui se prétend victime de la violation d’un droit protégé par une convention internationale peut adresser une communication individuelle (également nommée requête) à un comité. Il s’agit de saisir le comité en exposant les faits reprochés à un Etat et qui constituent, selon la personne qui en est victime, d’une violation de ses droits.
Le comité sera chargé d’examiner cette communication et commencera par s’assurer de la recevabilité de la communication. Cela implique pour le comité de vérifier un certain nombre de critères avant de se pencher sur la violation du droit en elle-même.

Ces critères doivent impérativement être respectés pour que le comité puisse par la suite reconnaître une violation d’un droit protégé par un pacte ou une convention internationale.
Le rôle de ce guide est de permettre de multiplier les chances, pour toute personne qui souhaite saisir les comités onusiens, de voir la communication individuelle aboutir.
Pour arriver à la répartition retenue dans le guide, de nombreuses communications individuelles portées devant les comités onusiens ont été analysées afin de retenir celles qui concernent les droits des personnes migrantes qui tentent de franchir les frontières.

Le guide a retenu 6 décisions portées devant le Comité des droits de l’Homme, le Comité contre la torture et le Comité des droits de l’enfant et contre des Etats tels que l’Italie, l’Espagne ou Malte puisqu’aucune communication individuelle ne concernait la France en la matière. Ces communications individuelles concernant des Etats proches de la France en termes de valeurs et de droits permettent de démontrer que les comportements des Etats européens à l’égard des personnes migrantes ne doivent pas rester impunis.

Le guide retient délibérément des communications qui ont été jugées recevables et d’autres irrecevables afin d’analyser en détail la manière dont la recevabilité est reconnue par les comités et quelles sont les difficultés à contourner pour faire aboutir une requête.

C’est pourquoi ce guide recense et analyse les critères de recevabilité d’une communication individuelle devant les différents comités en distinguant :
● les conditions de recevabilité généralement remplies (Partie 1) ;
● les difficultés rencontrées (Partie 2) ;
● les évolutions possibles de la jurisprudence des comités (Partie 3).

Chaque critère sera expliqué, et sera accompagné des décisions retenues qui servent d’exemple mais qui peuvent aussi être invoquées à l’appui d’une saisine. Une même décision peut être citée pour plusieurs critères car les comités contrôlent tous les critères de recevabilité pour chaque requête.

Des conseils sont proposés pour préparer au mieux une communication individuelle et éviter que celle-ci soit jugée irrecevable.

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2023-06-25_-_guide_sur_la_saisine_des_comite_s_onu